Ce manifeste débute par le prologue fictif d'Antoine Gébeau, un ancien urbaniste maire de Saint-Gonchain. Il y relate les changements agricoles de sa région, et une transformation radicale et utopiste de la ville, après une prise de conscience des impératifs liés au changement climatique. Cette section imagine un futur où la prise de conscience des problèmes territoriaux s'en est suivi par des actes concrets ayant induit un virage décisif pour y remédier.
Il a fallu tout réapprendre, mais plutôt que de simplement couler du béton, on a décidé d'affronter la complexité des choses. On voulait faire la ville autrement, et on le faisait vraiment. En une poignée d'années on a réduit drastiquement notre consommation de sol et engagé un vaste chantier pour refaire la ville au lieu de l'étendre. Isoler partout, poser de nouveaux étages sur des bâtiments, glisser un nouveau logement entre deux maisons...
La première partie de l'essai démontre que la ville est arrivée dans une impasse, en particulier par sa dislocation progressive. Elle expose de nouvelles données qui permettent d’aiguiser la compréhension de l’artificialisation du territoire. Le modèle en vigueur ne permet plus de répondre aux urgences climatiques et aux crises du logement et de l'agriculture.
La croissance de la ville n'est donc pas seulement plus rapide que celle de sa population, elle en est désormais décorrélée. Elle croît en surface même quand elle perd habitants et emplois. Nous ne savons plus faire (la) ville. Elle s'étale jusqu'à prendre le risque de se disloquer. Mais la faute à qui ? À la voiture bien entendu.
L'auteur énumère dans cette première partie les inconvénients de la ville telle qu'on la connaît. La voiture participe en premier lieu à l’étalement du territoire urbain. Elle n’a pas encore d’alternative fiable de substitution pour enrayer cette dynamique. Or elle prend de la place dans une ville et a complètement façonné la ville d'aujourd'hui. Grisot explique en quoi l’étalement de la ville est une menace pour la biodiversité, une des causes premières de l’accentuation des inondations, et qui coûte aussi très cher par son développement anarchique. La ville est de plus un repoussoir pour les familles avec enfants, qui recherchent du mètre carré abordable pour leurs ouailles.
L'étalement urbain n'a pas seulement fabriqué le rond-point, il a aussi mis à distance les usages, provoqué l'explosion des déplacements automobiles et indirectement généré une part significative des gaz à effet de serre qui nous imposent aujourd'hui de changer de modèle.
La législation s’adapte, par une prise de conscience timide du problème, jusqu’à l’objectif Zéro Artificialisation Nette (ZAN). Mais le changement ne s’opère que trop lentement. La refonte du modèle actuel doit selon Grisot suivre celui de l'urbanisme circulaire. Il en énonce les trois boucles: intensifier les usages, transformer l’existant et recycler les espaces. Celles-ci permettraient « à la ville flexible de se reconstruire en permanence sur elle-même, épargnant sols, énergie et matériaux ». Surtout si les cycles sont courts, ce qui limiterait l’impact environnemental. Les initiatives allant dans ce sens existent, mais sont trop isolées pour passer à l’échelle.
Intensifier les usages donc, en utilisant par exemple l’espace d’un restaurant universitaire pour en faire un espace de coworking ou alors utiliser des lieux inédits, comme une chapelle, pour y faire pousser des champignons. Transformer l’existant ensuite, en utilisant des pavés démontables comme le CUD (Chaussée Urbaine Démontable) ou le pavé 10x10, présent sur l’île de Nantes. L’intensification passe aussi par une densification de la ville, pour en éviter l’étalement. C’est l’un des enjeux principaux: trouver comment aménager la ville en lui gardant de vrais espaces verts et en maintenant un équilibre pour ses habitants. Mais densifier la ville peut faire face à des oppositions: ses riverains sont généralement réfractaires au changement. Et les professionnels doivent aussi déconstruire l’idée que la rénovation coûte plus cher que de construire du neuf. À partir de plusieurs exemples de réemploi de bâtiments, Grisot réussit à mettre en avant des initiatives en cours, comme ce gigantesque laboratoire d’urbanisme des tours WTC à Bruxelles. Des usages nouveaux sont expérimentés temporairement pour alimenter une réflexion sur la pérennité de lieux habitables. Enfin, la section sur le recyclage des espaces, troisième et dernière boucle de l’urbanisme circulaire, est consacrée à la manière de réinvestir les friches et apporte une réflexion sur le phénomène induit sur les lisières de la ville, qui rognent de plus en plus sur les campagnes et des terres agricoles en particulier.
La troisième et dernière partie de cet essai est le manifeste du titre de l’ouvrage à proprement parler. Grisot rappelle les enjeux associés au développement futur de la ville et de l’urgence d’un électrochoc pour réagir aux prochaines crises à venir. Cela implique une bifurcation générale, en reconstruisant le système et en inventant par exemple de nouveaux métiers et outils. Il apparaît primordial pour l'auteur de changer complètement de logiciel et de manière de penser, pour amorcer la transition.
N'ayant aucune expérience pratique de l'urbanisme, j'ai trouvé que ce manifeste était une introduction claire aux problèmes que fait face ce domaine. Les cas d'usage énumérés de projets novateurs adoptant les principes d'urbanisme circulaire permettent de prendre conscience de la faisabilité pratique des directives de Grisot. Préfacé de Philippe Bihouix, qui fait référence de manière amusante à Fondation de Isaac Asimov, l'ouvrage est aussi soutenu en postface par de nombreux acteurs externes, confrères et politiques. En faisant de plus régulièrement appel à la fiction pour imaginer le futur de la ville, l'auteur imagine les issues possibles de sortie de crise. Le travail sur les données m'a convaincu et montre clairement dans quelle impasse se trouve la ville telle qu’on la connaît. Cet auteur est donc à recommander et à suivre pour d'autres développements à venir.